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Ségolène Royal et l’incinération :
l’absurde posture

La ministre de l’Ecologie a récemment réaffirmé son opposition à l’incinération, en contradiction avec les objectifs de sa loi de transition énergétique. Explications.

 

L'incinération, quel que soit le nom qu'on lui donne, doit se développer si on veut progresser dans la valorisation matière. (photo : J. Leone, Grand Lyon)

Développer la valorisation matière et réduire la décharge induit forcément, au moins dans un permier temps, un développement de la valorisation énergétique. (photo : J. Leone, Grand Lyon)

Sauf à croire à la transsubstantiation des déchets et à leur transformation spontanée en matières premières et en produits, force est de constater que la position de la ministre de l’Ecologie sur l’incinération est une absurdité.

Essayons d’abord de la résumer. Sur France Inter, ce 30 septembre, Ségolène Royal a redit son opposition aux incinérateurs, expliquant que si elle était élue locale en charge des déchets « jamais [elle] ne ferai[t] d’incinérateur » (à voir ici, à partir de 8’12 », et plus particulièrement à 9’30 »). Dans le même temps, son projet de loi sur la transition énergétique et la croissance verte (PLTECV) prévoit de réduire de 50 % d’ici 2025 les quantités de déchets non dangereux non inertes (DNDNI) mis en décharge, et d’augmenter leur valorisation matière par recyclage ou compostage pour la porter de 52 % en 2010 à 60 % en 2025.

A priori, on pourrait se dire que ces deux orientations sont cohérentes : si on valorise davantage les déchets sous forme de matière, on aura moins à en incinérer et moins à en mettre en décharge. Le problème est que dans la réalité, ça ne fonctionne pas comme cela.

Pour bien comprendre, il faut rentrer un peu dans la technique. Passer de 52 à 60 % de valorisation matière nécessitera de sortir 7,7 Mt supplémentaires des centres de tri, des plates-formes de compostage et des usines de méthanisation. Pour y arriver, il faudra faire entrer dans ces installations environ 10 Mt de déchets en plus, car le tri, le compostage et la méthanisation génèrent des « refus de tri » que l’on peut pas totalement éviter. Ces refus sont dus au tri pas toujours bien fait par les habitants (des objets sont triés alors qu’ils ne devraient pas l’être) et aux process des usines qui ne sont pas, eux non plus, parfaits (des objets qui ont été triés à bon droit passent au travers des cribles, par exemple). Ainsi, sur une tonne de déchets entrant en centre de tri, il y a 200 à 250 kg de refus de tri. Pour 10 Mt supplémentaires à trier, composter et méthaniser, cela donnerait donc environ 2,3 Mt de refus.

C’est là que l’on arrive à la question cruciale : que fait-on des refus ?

Si on les met en décharge, on va à l’encontre de l’objectif de réduction de la décharge. Ce serait en outre assez stupide car les refus de tri ont généralement un très bon pouvoir calorifique et l’on se priverait donc d’une ressource précieuse qui serait ainsi rendue inutile.

Si on ne met pas les refus de tri en décharge et qu’on ne peut pas les recycler, leur seul usage intelligent est de les valoriser sous forme d’énergie. C’est-à-dire de les incinérer, quel que soit le nom que l’on donne au procédé employé (incinération, pyrolyse, thermolyse…) ou à l’usine dans laquelle on les envoie (chaufferie industrielle, centre de valorisation énergétique, usine pour combustibles solides de récupération alias « CSR », cimenterie, etc.).

En résumé : plus on trie pour recycler, composter et méthaniser, plus on a de refus de tri, et plus il est utile et intelligent de développer leur valorisation énergétique — donc peu ou prou leur incinération.

 

Ceci posé, on peut revenir à la position de Ségolène Royal (« Je ne suis pas favorable aux incinérateurs ») et se demander : pourquoi ? Pourquoi contredit-elle ses propres textes, les services de son ministère, l’Ademe (Agence de l’environnement), le Conseil national des déchets (qui rassemble toutes les parties intéressées au sujet) qui, tous, reconnaissent que la valorisation matière et la valorisation énergétique ne peuvent que progresser de front ?

Faute d’avoir la réponse de la ministre elle-même, on en est réduit aux hypothèses. Celle qui nous paraît la plus probable est qu’en fustigeant l’incinération, Ségolène Royal est dans la posture : elle s’affiche plus écolo que les écolos, « plus verte que les Verts », en essayant d’amadouer ceux qui sont opposés par principe à l’incinération. Parallèlement, elle se place en position protectrice sur le thème : « L’incinération vous inquiète, je le comprends et j’affirme que je lutte contre. » Le fait que le projet sur lequel elle était interrogée sur France Inter se trouve dans « sa » région de Poitou-Charente n’est probablement pas pour rien dans ce positionnement.

Reste un problème de fond : les postures et les petits calculs politiciens qui les sous-tendent n’ont jamais fait les grands ministres. Surtout dans l’environnement, où le réel est têtu et sait se rappeler au bon souvenir de ceux qui l’oublient ou font mine de l’oublier.


Voir aussi nos précédents articles sur le sujet :
Incinération : on cherche la position de la ministre…
Ségolène Royal toujours plus « verte »
Vers un plan déchets 2014-2025 plus radical ?
Transition énergétique et économie circulaire : le happening « Royal » continue
Quand Ségolène Royal « flingue » l’incinération et les incinérateurs, en contredisant « sa » loi sur la transition énergétique
Plan déchets : le recyclage suivi par la valorisation énergétique

L’interview de Ségolène Royal sur France Inter le 30 septembre (sur l’incinération, à partir de 8’12 ») :
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